ÊTRE !

J’avais 16 ans et dans un poème adolescent j’avais écrit cette phrase :

« C’est difficile d’être juif, il faut toujours se résigner à partir… » Depuis ma plus tendre enfance, mon père prisonnier de guerre, évadé de l’Allemagne nazie nous répétait toujours : « c’est pas la peine de crier sur les toits qu’on est juifs… » A l‘école, au collège, au lycée très peu savaient mes origines religieuses. On était élevé comme ça, une sorte de mélange entre la peur, la honte et la discrétion. L’Histoire avec un grand H avait imprimé sur nos consciences et nos inconscients, cet indicible secret qu’il ne fallait pas dire à tout le monde. Crucifixion de Jésus, Pogroms, inquisitions, shoah, Dreyfuss … On vivait avec ça avec ce fardeau à porter d’être responsables du malheur universel depuis le début des temps.

Et ces empreintes en France, je les ai trimballées tout le temps. Même auprès de mes copains, de mes amis à qui je devais expliquer ce que c’était être juif. Même chez les plus tolérants, les plus ouverts subsistaient cette idée incongrue que quand même, on est radins, on aime l’argent, on tient la finance, on sait faire des affaires, on est malins, et on est un peu coupables de pas mal de choses. Transmissions reçues de leurs propres parents élevés dans une France qui a vu naître  Philippe Pétain, Charles Mauras, Céline, Occident, la France aux Français et bien entendu le Front National. Non seulement on avait à porter le poids des chambres à gaz, mais aussi le poids sournois de que « quelque part… on l’avait bien un peu cherché… » Comme beaucoup, comme Albert Cohen dans son livre «  Frères humains… ». J’ai parfois été traité de « sale juif. » J’ai parfois répliqué avec mes poings, j’ai parfois aussi fait la sourde oreille ou adopté le mépris.

Au fil des ans, j’ai appris à me débarrasser de ces scarifications, de ces enclumes soudées à mes épaules. Je rigolais même aux blagues millénaires sur les juifs de tous pays. Allez, ne me dites pas que vous n’en connaissaient pas ?… Que vous n’en avaient jamais racontées non plus ni même ri à certaines ?… Et l’Histoire avec un grand H continuait de se dévider sur l’échelle du temps. La guerre d’Algérie est venue amalgamer tout ça. Nous qui avions vécu nos années ensoleillées avec des arabes amis, fraternels, voilà que certains guerriers et politicards, nous renvoyaient dos à dos avec nos frères d’enfance. Juifs contre Arabes. Et si quelque part, nous étions aussi un peu coupables de la colonisation française, hein ? Tous ces Bugeaud, Lyautey n’avaient ils rien avoir avec ce Dreyfuss ? Et ça a continué sur la frise du temps, Israël réclamait son indépendance et ça n’a fait qu’accentuer les tensions. Voilà que politique et religions s’amalgamaient aussi. Et une enclume de plus pour moi ! Voilà qu’il me fallait maitriser mes contradictions, mes ambivalences. OUI Israël doit vivre, NON Israël ne doit pas se comporter en colonisateur. Oui on peut être juif et non sioniste. Oui on peut aimer ses racines, son appartenance et avoir des amis d’autres racines, d’autres appartenances, d’autres religions… Oui on peut revendiquer certains noms juifs brillants sans pour autant crier que nous sommes le peuple élu, et convenir qu’il existe aussi des juifs très cons, (pourquoi beaucoup pensent à Zemmour quand j’écris ça ( rires) ?) Oui on peut être fier d’être juif sans pour autant être pratiquants. Oui, on peut aimer les rituels, les chants yiddish et aussi vibrer dans une église  ou une cathédrale. Oui on peut être critique vis à vis de certaines pratiques religieuses spécifiques au judaïsme et oui on peut aussi blasphémer sans pour autant se démarquer de ses coreligionnaires.

Ah non… Ce n’est pas facile d’être juif… même au sein de sa propre famille, je vous le dis !

Et enfin OUI, voilà où je veux en venir, on ne doit pas se cacher sous prétexte que depuis la nuit des temps on nous pourchasse, on nous massacre aussi… ( relisez le monologue de Shylock dans le marchand de Venise de William Shakespeare. ) Alors à ceux qui la portent, NON, il ne faut enlever la kipa parce que vous risquez d’être agressés.

Balavoine chantait :

Et quand tu marches le soir

Ne tremble pas

Laisse glisser les mauvais regards

Qui pèsent sur toi

L’Aziza ton étoile jaune c’est ta peau

Tu n’as pas le choix

Ne la porte pas comme on porte un fardeau

Ta force c’est ton droit.

Même si je pense dur comme fer que la religion doit se pratiquer dans la sphère privée, je pense aussi que dans la laïcité tout le monde a le droit de ne pas cacher ou taire sa religion dans l’espace public. L’essentiel, qui ne s’applique pas hélas dans les temps que nous vivons, c’est qu’il n’est pas obligatoire de vouloir la faire admettre par le monde entier au point de contraindre, de forcer, et même de massacrer ceux et celles qui ne veulent pas afficher les signes ostentatoires, voire à ceux ou celles qui n’ont pas le désir de la pratiquer.

AH… pauvre mot de liberté tant galvaudé, hélas, et si peu usité. La liberté de porter sans contrainte, voile, kippa, croix, coiffure sikh etc…doit prévaloir… sans pour autant, être un signe de défi ou d’arrogance vis à vis d’autrui…

J’ai longtemps vécu de par tout ce que je viens d’écrire et de vous dire dans cette idée qui a tant fait couler d’encre et de films, et de livres et de sketches, du pauvre juif persécuté, coupable de tout qui se tape la poitrine, qui lève les yeux au ciel en se plaignant à Dieu de ne jamais avoir ce qu’il réclame et d’être presque tout le temps, la risée ou la vindicte des autres, Rires ! … et même en amour… «  Elle ne m’aime pas parce qu’elle sait que je suis juif… » J’ai longtemps vécu dans cette idée, et je sais que j’en ai quelques séquelles encore…Image d’Epinal, parfois hélas proche de la réalité, comme si les légendes créaient le réel, qui se devrait de tomber en désuétude. Ne plus jamais avoir honte de ce que nous sommes, ni d’où venons, ni de qui nous a fait, ni des choix qui nous ont forgés et résumer cela en un seul mot, en un seul verbe, qui que nous soyons.

ÊTRE.

Copyright Albert Labbouz désespoir productions janvier 2016

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4 commentaires pour ÊTRE !

  1. Assayag Jean-Marc dit :

    Bonjour Albert, je te lis toujours et ne laisse jamais de commentaire. Pourtant, aujourd’hui, j’ai envie de te dire que dans « l’armée » de ta pensée, nous sommes au moins deux soldats!! jean-marc 😉

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  2. Très bel article Albert, je partage ton opinion. Amitiés

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  3. Corinne Labbouz dit :

    Magnifique texte, sensibilité et lucidité . Je partage pleinement ton propos, une nuance sur la kipa . Certes il ne faut pas se cacher et ni céder aux pressions, mais je comprends la position de certains représentants de la communauté juive . Quand nous étions enfants, les juifs de France ne portaient pas de kipa dans la rue , mais juste pour entrer à la synagogue , c’était très bien ainsi. Les jeunes générations s’affirment et se différencient par leur appartenance religieuse. A l’université ou j’enseigne , je n’accepte ni kipa ni voile, et pas non non plus de casquette à l’envers ! Mes principes ne sont pas négociables comme l’affirmait Castro il y a quelques décennies sur les murs de la Havane. Corinne

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