je l’ai enfin vu …

En juin 2019, j’écrivais ici sur mon blog… un article qui s’intitulait  » avant de voir la vie scolaire… » Article que vous pourrez relire et où je ne fustigeais personne, sinon le fait que des tas de films sur l’école et la banlieue avaient  déjà  été faits, et où je listais les films emblématiques sur le sujet. Je me demandais en outre quelle pierre nouvelle pouvait on rajouter à l’édifice sur le sujet mille fois traité. That’s all… J’attendais donc de voir.

Mon histoire personnelle et familiale, beaucoup le savent, a des connexions avec Fabien Marsaud et j’ai quelque fois côtoyé Mehdi Idir dont je connais le roman familial. Histoire sur laquelle je ne me permettrai pas d’émettre une opinion, un jugement, un avis. Là n’est pas le propos. Le propos est purement cinématographique et cinéphilique. Et c’est bien, parce que j’ai eu des liens que je pense forts avec Fabien que mon regard sur son travail de slameur ou de co-réalisateur et que je me considère aussi comme un auteur ( même si nous ne jouons pas dans la même cour…), me permettent non pas de juger, mais d’offrir ma vision sur son travail d’artiste.

Je le répète ici comme je l’ai souvent écrit… On peut admirer un artiste et reconnaitre que dans certaines de ses créations il y a des faiblesses, des facilités, voire des râtés … Et comme je l’ai souvent dit et écrit aussi, je suis de ceux qui dissocient l’oeuvre d’un artiste et sa vie privée aussi pourrie soit elle. Les instances judiciaires sont là pour régler ce côté-là ( cf: l’affaire Polanski  ou récemment la censure de l’autobiographie de Woody Allen ) Mais mon propos n’est pas là non plus, aujourd’hui…

Bref, ou anyway comme vous le voulez… ou même Wesh si ça vous fait plaisir … Revenons à ce film « La vie scolaire »

Je vais donc commencer par les points positifs… Une actrice Zita Hanrot et un acteur Gaspard Gevin-Hié …

Une déception du coté acteur: Soufiane Guerrab que j’avais trouvé excellent et hélas  non césarisé dans « Patients » … Déception car  … Rôle trop cliché, jeu d’acteur faiblard et surtout, surtout le fait de lui donner un côté intello de prof de maths avec ces lunettes cerclées… On n’y croit pas du tout. Je passerai sur Alban Ivanov que j’avais aussi trouvé pas mal dans « Patients » et qui là… ne réussit même pas à nous faire croire à son côté surveillant déconnant et magouilleur pour obtenir du shit des élèves…

Je passe sur Liam Pierron, qui fait les efforts nécessaires  surement demandés par ses réalisateurs, pour rendre crédible son personnage que je sais tout droit inspiré de la vie de Mehdi Idir. Sa ressemblance avec Faudel ou avec Samy Seghir le jeune acteur de « Neuilly sa mère »… m’a gêné pendant tout le film. Mais bon… cela n’est rien par rapport au film lui-même.

Techniquement… D’un bout à l’autre j’ai eu la nette impression et je n’étais pas le seul chez moi  (mon fils, sa compagne, un ami …) de ne voir qu’un long téléfilm sans moments de fulgurances cinématographiques, tant au niveau des plans, surtout dans les scènes de dialogues, que dans la scène qui se veut la plus originale (celle de la fête, avec le parallèle entre fête des jeunes et fêtes du personnel du collège). Même dans certains clips tourné par Mehdi Idir, j’y avais trouvé quelques véritables scènes de cinéma ( Roméo Kiffe Juliette, le bout du tunnel, Education Nationale, Pocahontas…) Pour le coup, là on adhère pas du tout et on a même du mal à y croire, et croyez moi des fêtes d’enseignants de banlieues, pour en avoir vécu quelques unes quand j’étais moi même enseignant remplaçant dans le 93, j’en ai vécu pas mal, des coincées, aussi bien que des foutrement déjantées ( droit de réserve oblige, je ne rentrerai pas dans les détails…ceci a déjà été évoqué dans ma pièce « salle des maitres »…) Le montage est quelconque, et ne donne pas au film un rythme qui nous permettrait de le suivre avec ce questionnement tout bête d’un spectateur lambda: « et comment tout cela va évoluer ? » Et là j’aborde le fond de ma déception, excuse moi Fabien, tout cela manque de profondeur, d’émotions, tout est superficiel, au ras des pâquerettes de banlieue et de l’éducation Nationale. Même les  semblants de vies des familles qui défilent chez la CPE… (Sincèrement et sans me poser en donneur de leçons… Regardez les films de Raymond Depardon, sur la justice, » Faits divers, Délits flagrants, 10 e chambre correctionnelle, sur les campagnes: les habitants, la vie moderne, sur la folie  San Clemente et vous verrez que même en peu de dialogues on fait passer un message puissant… et même sans champs contre champs) Une image, un plan, une scène doit être un uppercut, une bouffée de sensations, une émotion à fleur de peau. Il y en avait quelques unes dans « Patients ». On espère un semblant d’histoire d’amour entre la CPE et  Yannis, ou/et Messaoud et la CPE mais un simple échange de regard, ou de sourires, ou un secret commun, ou une discussion confession brève et non élaborée autour d’un café, ne suffit pas à faire passer une émotion. On aurait aimé mieux connaitre le parcours familiale de la CPE ( Dans la journée de la jupe ( film sur les élèves d’un collège de banlieue aussi) avec Adjani on comprend mieux l’extrémisme des choix de l’enseignante quand on découvre au plan final d’où elle vient et pourquoi …) On espère aussi un regard différent sur la banlieue  et les jeunes des cités ou à la limite du hors système scolaire du 93, et on a  que des clichés, même de quoi donner de l’eau au moulin aux farouches connards qui disent que le 93 c’est la zone et c’est dangereux. Le personnage du copain à Scooter qui a choisi de dealer et qui meurt fait partie d’un de ces clichés … Et puis désolé, une fois de plus Fabien, tout est tellement lisse, propret dans votre film, (ah le désir de ne pas trop blesser de ne pas s’impliquer à fond dans un débat ou un conflit, de toujours montrer son coté clair et gentil … ça me rappelle des choses… mais bref …). J’ai enseigné à Garcia Lorca, à Rodin, à Renoir dans ce quartier où vous avez filmé, et croyez moi, c’était autrement violent et difficile quand je devais rentrer dans ces classes même en SEGPA ( que vous n’expliquez pas, tout le monde ne sait pas ce que peut être une Segpa…) Peut être me direz vous les temps on changé. Mais du temps où Armand C. ou Jean Yves S. (prof et directeur de Garcia Lorca à un moment), ce n’était pas aussi cool que le Lycée que vous montrez. Voulez vous dire par là, que les temps ont changé ? Si oui…vous ne le dites pas comme il faut… Et l’instrument « cinéma » ne le montre pas.

Allez… je vais quand même avoué que certaines répliques de certains mômes, m’ont fait sourire,  mais bon ça ne suffit pas ni à faire un film, ni à l’envie que j’avais d’écrire ( je vous jure que c’est vrai sincèrement, « la vie de ma mère… gros » !) que Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont réussi leur coup sur un nouveau, un énième film sur la banlieue, l’école et le 93 et qu’on attend le prochain avec impatience… Rien ne pourra remplacer ou supplanter trois films magistraux sur le même sujet: Entre les murs ( bien sûr), ça commence aujourd’hui ( avec Philippe Torreton) et Etre ou avoir… Je pourrai même rajouté Le maitre d’école avec Coluche inspiré directement d’un livre pamphlet Journal d’un éducastreur de Jules Celma. Je passe bien sûr sur le cultissime La haine de Mathieu Kassovitz.

Finalement…  Après le générique, très beau, genre photo de classe, on se demande: mais qu’ont ils voulu nous dire Idir et Marsaud ? Quel est le message ? Mehdi voulait-il sa petite thérapie cinématographique, comme le soi disant faux  » biopic  » Patients ? Si oui, tout aurait du être poussé à fond, décortiquer, quitte à poser ses tripes sur la table. Même la scène qui aurait pu être la plus puissante ( celle du dernier parloir entre La CPE et son mec, tombe à plat, même si l’actrice fait tout ce qu’elle peut pour nous  bouleverser.) Et là, Mehdi, si Tu ( je te re tutoies, pour le coup …) si tu avais vraiment osé mettre à nu ton histoire avec en background tes années collèges… ça aurait pu être très fort. Le cinéma peut être parfois une arme, et un miroir pour le spectateur qui cherche forcément souvent des identifications, soit à l’histoire, soit aux personnages. Tout comme le personnage que tu as créé, on dirait que tu te dis, « ça servira à rien, je suis comme ça et rien ne changera… » De toi même en filmant avec Fabien cette vie scolaire, tu bloques ce fameux ascenseur social si cher aux slams de Fabien. Et je vois bien écrire dans la marge d’un livret cinématographique: « Peut mieux faire… »

Ma conclusion sera pour tous les admirateurs de Grand Corps Malade qui bien sûr ont adoré le film qui a eu bien sûr son large quota d’entrée … Et comment ne peut on pas adoré Fabien, quand on le connait sur scène ou sur CD ou sur selfies ? … Chers fans, admirateurs de Grand Corps Malade, le talent  (et Fabien est talentueux …) d’un artiste ne donne pas forcément de belles réussites, parfois. Mais rien ne peut vous empêcher de continuer à le vénérer comme vous le faites. Juste un truc, et après vous pourrez m’insulter ou me fustiger, ne laissez pas vos émotions, votre admiration altérer votre sens critique.

Aimer, admets aussi des nuances ou des déceptions que l’on souhaite temporaires …

Mars 2020

Albert Labbouz copyright pour Désespoir Production.  

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